« Le tabou sur la politique des prix est enfin levé » | Lyon Pôle Immo

« Le tabou sur la politique des prix est enfin levé »

Marc Uhry, délégué régional de la fondation Abbé Pierre, commente l’annonce par Cécile Duflot d’un prochain blocage des loyers à la relocation.

Etes-vous satisfait de l’annonce par Cécile Duflot sur l’encadrement des loyers ?

Pour partie. Cela va dans le sens de ce que nous avions demandé aux candidats à l’élection présidentielle, qui avaient tous signé notre contrat social pour une nouvelle politique du logement. Nous demandions une politique des prix qui permette de proposer des prix qui soient compatibles avec les revenus des ménages. La bonne nouvelle, c’est que le tabou de la politique des prix est levé. C’était quelque chose auquel nous ne touchions plus depuis la fin des années 80. Par contre, nous ne sommes pas complétement naïfs, au point de méconnaitre que cette régulation des prix peut avoir un impact sur la production en touchant au rendement locatif. Il faut donc mener cette réforme vite, mais surtout la mener bien. Pour que cela n’ait pas d’impact sur la production, il faut que ce ne soit pas qu’une politique symbolique réglementaire, mais il faut aussi qu’elle s’assortisse de politique en matière de règlementation foncière, fiscale, et d’urbanisme… Il faut réorganiser l’ensemble de la chaîne de production pour que le fait de toucher aux prix ne se traduise pas immédiatement par une baisse du rendement locatif, ce qui impacterait la production. On sait que la production privée constitue 80% de la production de logement, et que la proportion des investisseurs augmente par rapport à celle des propriétaires occupants.

Les associations de propriétaires mettent souvent en avant le risque de désaffection des investisseurs vis-à-vis de l’immobilier

On a effectivement constaté ce phénomène dans les années 90. Après il faut se méfier des analogies, parce que les circonstances changent : les investissements boursiers sont aujourd’hui bien plus fragiles. On a toutefois vu, à travers le Scellier, que la part des liquidités qui se plaçait sur l’immobilier est extrêmement volatile et peut se déplacer très facilement d’un secteur à l’autre. Du coup, on voit que la part des investisseurs ne cesse d’augmenter sur Lyon, or c’est ce type d’investisseurs qui sont les plus mobiles d’un secteur à l’autre. Or les mises en chantier ont baissé de 22% au premier trimestre 2012. On comprend mieux à travers cela la réaction négative du maire de Lyon lorsque l’encadrement des prix a été intégré au programme du parti socialiste. La question n’est pas de savoir si c’est bien ou si c’est mal, mais plutôt d’arriver à déterminer à quelle condition ce peut être vertueux. C’est aussi de savoir comment arriver à attirer de nouveau des investisseurs institutionnels sur l’immobilier privé de manière incitative ou contrainte, mais également comment l’on fait pour encourager l’investissement au détriment d’une inflation qui est liée à l’augmentation de la rente foncière. Ce sont des outils qui doivent se combiner ensemble pour qu’on puisse arriver à une production qui réponde à nos problèmes quantitatifs de logements, tout en proposant des prix qui soient compatibles avec les revenus des ménages. Il faut donc trouver des motifs pour que les investisseurs privés continuent à s’investir dans le logement parce que la pénurie est trop importante et la production publique seule n’arrivera pas, seule, à la combler.

Comment parvenir à résoudre cette quadrature du cercle?

Il y a manifestement besoin de transformer la fiscalité pour encourager l’investissement dans la production neuve, tout en décourageant les dérapages de la rente foncière. Ceci demande une vraie réforme fiscale importante. Plus globalement, il faut se demander comment encourager l’investissement productif plutôt que les investissements spéculatifs. On peut faire revenir les investisseurs institutionnels qui étaient très importants dans la production immobilière du début des années 80, notamment du fait d’un certain nombre de règlementations qui pesaient sur eux. On peut réformer le droit de l’urbanisme pour en faire un urbanisme plus prescriptif, plus incitatif à la production de mètre carré de SHON. Comme nous sommes en train de réécrire le PLU en même temps que le PLH, nous avons une occasion de mettre l’urbain au service des besoins d’habitat, alors que jusqu’à maintenant nous dessinions la ville indépendamment de ce besoin. L’un des autres moyens, c’est également de travailler sur les couts de production dans le BTP. En Allemagne, en rationalisant la commande au BTP, on a réussi à faire baisser le cout de production des logements de 18%. Le bâtiment est un secteur très important, pourvoyeur d’emplois, et au centre de questions environnementales. On a ici un levier que l’on sent un peu abandonné en termes d’animation publique, et qui est pourtant extrêmement important en matière de relocalisation d’emplois, et de production de logements à des prix en rapport avec les revenus des ménages. Si l’on veut toucher aux prix, il ne faut pas seulement prendre un décret symbolique. On peut être d’accord avec beaucoup d’acteurs sur le fait qu’il est utile et nécessaire d’ouvrir la boite de Pandore des prix, mais qu’on ne peut le faire utilement que si l’on intervient à la fois sur le foncier, l’urbain, les conditions de la construction, la fiscalité, et l’héritage.

On voit les premiers signes d’une modération de l’augmentation des prix des loyers. N’a-t-on pas d’ores et déjà changé de paradigme ?

C’est le propre de l’Etat démocratique. Le temps que les idées soient formulées, qu’elles soient appropriées, puis transformées en mesure, nous sommes souvent en retard d’une crise. Avec le dérapage des prix observé depuis 15 ans, on se donne désormais les outils qui permettront de tempérer à l’avenir d’éventuelles fièvres, qui ne sont bonnes pour aucun des agents économiques impliqués. Alors certes, on arrive peut-être au sommet de la vague… mais nous n’en sommes pas vraiment sûrs. Cela fait tellement longtemps que l’on a percé le tunnel de Friggit… qu’il n’est sans doute jamais trop tard pour bien faire. Ce qui me semble important, c’est que l’on ait enfin levé le tabou sur les prix. C’est un signal extrêmement fort. Si l’on arrive à avoir une politique des prix apaisée et pas trop dogmatique, qu’elle soit de droite ou de gauche, ce sera une bonne chose.






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